Cowboys et shérifs : pourquoi les fintechs doivent se développer en étant régulées avec Charlotte Gounot
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Charlotte Gounot, Directrice financière de Defacto et ancienne responsable des opérations de marché à l’Agence France Trésor, donne son éclairage sur la relation entre les pouvoirs publics et les institutions financières. Elle pense que les fintechs ne peuvent pas faire l’économie de se conformer au cadre réglementaire tôt dans leur développement, à l’instar de Defacto qui a fait le choix d'obtenir un agrément, ce qui s’est avéré par la suite un avantage clé pour croître et se développer.
Toujours intriguée par les sujets liés à la maîtrise des risque
Favoriser le progrès nécessite un arbitrage permanent entre la prévention des risques et l’innovation. J’ai été amené à le constater dans trois contextes différents : pendant mes études en parasismique, au Ministère de l'économie et des finances, et chez Defacto enfin.
Diplômée d’un master de génie civil parasismique, je n'avais jamais envisagé de travailler en économie ou en finance avant, une fois diplômée, d’accepter un poste au sein du ministère de l’économie et des finances.
J’y ai découvert que le raisonnement qu’on applique dans le secteur bancaire est très similaire à celui utilisé dans le domaine du parasismique : il y a des risques plus ou moins probable et d’ampleur variable, il faut les prévenir, mais à un coût qui reste raisonnable.
En finance, on ne peut pas renchérir structurellement le financement de l'économie en prévenant tous les aléas, mais on ne peut pas non plus se permettre de ne pas prévenir les crises d’ampleur.
Désormais en charge des finances et de la conformité dans une startup qui observe une forte croissance, il en est de même. Même s’il est toujours préférable de ne pas être assujettis à des exigences réglementaires, nous pensons avoir fait le bon choix en comptant parmi les quelques fintechs ayant obtenu un agrément, exigeant mais qui permet d’encadrer nos risques, de société de financement. Nous échangeons régulièrement avec le superviseur et le régulateur, dans un esprit de dialogue constructif.
Régulateur ou acteurs privés : qui est responsable de la capacité d'innovation ?
De nombreux entrepreneurs ou dirigeants d'entreprises peuvent parfois éprouver de la frustration vis à vis du régulateur, dont ils considèrent les actions comme antagonistes ou comme un frein au progrès.
Pourtant, tous les gouvernements ne sont ils pas a priori intrinsèquement favorables à l'innovation ? L'innovation est en effet un moteur de progrès et de compétitivité, qui conduit à renforcer les acteurs économiques, capables de croître plus facilement, d’apporter de nouvelles solutions aux clients, de verser des salaires plus élevés et plus d’intéressement à leurs salariés et d'attirer plus de capitaux grâce à leur capacité à verser un rendement aux actionnaires.
Ceci, par la suite, contribue à d'autres objectifs de politiques publiques et à répondre aux enjeux croissants de la société. L'innovation est par exemple essentielle à la transition climatique, à l’accès au soin et au progrès social.
Ces dernières années, le gouvernement français s’est montré particulièrement favorable à l'innovation, en favorisant le développement d’un écosystème qui attire des fonds d’investissement à Paris, ou la mise en place de fonds d’investissements dans les technologies de pointe par exemple.
Mais, et ce point est crucial, le rôle du gouvernement n'est pas de choisir lui-même quelles sont les innovations ou les technologies à retenir. Cela risquerait de conduire sinon à un « techno-lock », c'est-à-dire que certaines technologies seraient seules favoriser et l’émergence de nouvelles technologies limitées par la suite. Sous réserve de leur impact, il est préférable que toutes les nouvelles technologies puissent possiblement émerger.
Le rôle des pouvoirs publics est donc de favoriser l’innovation, en permettant aux entrepreneurs de créer, d'investir et de tester de nouvelles idées, tout en veillant à ce que les perturbations non souhaitables et/ou de grande échelle soient anticipées et prévenues. Les législateurs sont les mieux placés pour assurer et assumer l’équilibre entre l’objectif de protection des consommateurs et des entreprises d’une part et la capacité d’innovation d’autre part. Ceci afin de créer un environnement qui soit favorable à l'innovation et soutenable.
De son côté, le rôle de l'industrie est de pointer les freins à l’innovation et de suggérer des solutions. De nombreuses personnes se heurtent à des obstacles dans la conduite de leur projet entrepreneurial, mais elles n’en font pas toujours part aux pouvoirs publics. Pour simplifier et favoriser l'innovation, il serait très utile de développer le dialogue, y compris à un niveau technique, entre les acteurs sectoriels et l'administration.
Les startups parviennent toujours à innover, en se conformant à la réglementation ou pour certaines en la contournant, mais il y est possible d’améliorer le potentiel d’innovation. Même si les entreprises essaient de bonne foi d’en comprendre le sens, il y aura toujours des réglementations qui ne seront pas claires et nuisent à l’innovation, ou qui dont douter de leur pertinence. Dans de tel cas, la réponse ne peut pas être d’ajouter simplement un délai de six mois à l’entrée en vigueur, il faut apporter des clarifications ou actualiser les règles. Les pouvoirs publics ont besoin de ce genre de retour d'information.
Le dialogue existe déjà bien sûr, il est souhaité, mais nous devons nous efforcer à l'améliorer et à le développer.
Exemples d'innovation en action
Il est difficile de percevoir les améliorations quand on est la tête dans le guidon. Tout ce que l'on perçoit, c'est la paperasserie et les obstacles qui nous ralentissent - les petites démarches qui semblent prendre une éternité.
Mais il y a eu des avancées colossales dans le secteur financier pour favoriser l’innovation.
Au niveau européen, le développement de l’open banking, il y a près de 10 ans, a été vraiment déterminant. Il a contribué de manière significative à l'innovation dans le domaine des paiements. Et c'est tout à fait essentiel pour le développement de solutions de financement intégrées aux outils du quotidien que nous offrons chez Defacto. J'attends avec impatience l’émergence de l‘open finance dont les projets de réglementation sont en cours de discussion au niveau européen.
Au niveau national, les différents programmes en faveur de l’innovation - comme l’initiative “French Tech” - ont connu un succès incroyable. Il ne s'agit pas seulement d'injecter des fonds publics dans l'écosystème, mais aussi de simplifier des processus administratifs et d'obtenir plus de soutien au cours des deux premières années suivant la création d'une entreprise.
En France, nous avons un système universitaire de très haut standing et nous produisons des ingénieurs réputés dans le monde entier. Nous avons un niveau scientifique élevé, et ce depuis longtemps. Ce qui manquait auparavant, c'était l'esprit d'entreprendre. De plus en plus d'universités et de grandes écoles incitent les étudiants à créer des entreprises et à développer un esprit entrepreneurial. Cela stimule l'innovation et donne naissance à de nouvelles start-ups.
Dans le secteur financier, les banques traditionnelles sont également conscientes qu'une partie de leur capacité d’innovation implique et impliquera de nouer des partenariats avec des startups.
Ainsi, les pouvoirs publics, le système éducatif et les acteurs traditionnels réalisent tous des investissements en faveur de l'innovation.
Avec trois de mes anciens collègues, j'ai contribué à la création d'un tout nouveau produit de dette émis par les banques : la dette senior non-préférée. Ce produit est très important pour limiter l’impact des défaillances bancaires sur l'économie. Nous avons dû concevoir, puis mobiliser les banques et les acteurs du marché du monde entier pour que ce produit voit le jour. Depuis 2016, plus de 300 milliards d'euros de cet instrument de dette ont été émis par les banques de l'UE. Avec une petite équipe de seulement quatre personnes, nous avons réussi à mobiliser toutes les parties, à préparer le projet de loi en France, à suivre son adoption par le parlement français puis de même au niveau européen.
Un autre exemple d’innovation, le plan de relance français post-Covid. Les économistes et les analystes prédisaient qu'après la Covid, la France aurait un taux de chômage d'environ 25 % et que nous serions en récession. En réalité, le taux de chômage actuel est inférieur à 7 % - le plus bas depuis 40 ans - et la France n'a pas connu de récession. C'est grâce à l'engagement et à l'implication de l'ensemble des acteurs de la société française - entreprises, organisations et citoyens. Nous avons réussi à faire face à l'une de nos plus grandes crises, collectivement.
Comment les fintechs peuvent apprivoiser la réglementation
Dans le secteur financier, nous faisons face à de nombreuses exigences réglementaires, et élevées. Au-delà des règles prudentielles, de nouvelles règles autour de la protection des données, de l'IA ou de la résilience opérationnelle s’appliquent.
Les start-ups peuvent trouver cela difficile de suivre d’une part et de se conformer ensuite à ces réglementations. Et il est vrai que cela est difficile.
Dans ce contexte, deux possibilités. Chercher à contourner ces réglementations. Ou essayer de comprendre les objectifs qui les sous-tendent. Les exigences réglementaires sont généralement là pour de bonnes raisons. Elles peuvent être trop strictes ou trop coûteuses dans certains cas, mais elles permettent surtout de prévenir des risques concrets. En comprenant d'abord l'esprit qui les sous-tend, et les risques qu’elles cherchent à prévenir, on peut développer sa fintech de manière conforme, en gardant une approche fondée sur les risques et la donnée.
Certains préfèrent jouer les cow-boys. Certaines fintechs continuent à trouver des échappatoires pour développer leurs activités, plus rapidement, sans contraintes. Mais les cow-boys doivent toujours se méfier… du shérif.
En premier lieu pour elles-même. Je ne pense pas qu'échapper à la réglementation soit une tactique viable de développement à moyen-long terme. Les voix de contournement se referment toujours : le shérif les préviennent tôt ou tard, et le risque pour la fintech est de devoir alors tout reconstruire.
Pire, on peut causer un préjudice à la collectivité dans son ensemble, bien au-delà des bornes de l’entreprise et de ses créanciers. Avant la crise financière, la réglementation était moins importante. Et il y avait un nombre non-négligeable d’entités qui faisaient une mauvaise appréciation des risques qu’elles prenaient et de leurs conséquences. Après la faillite de Lehman, la société a subi des dégâts économiques et sociaux colossaux. L'épargne des particuliers et les fonds publics ont été nécessaires pour recapitaliser les banques qui ne pouvaient pas être liquidées. Les économies, notamment européennes, ont survécu, mais les dégâts socio-économiques ont été élevés.
Par ailleurs, les cow-boys ne sont pas les meilleurs partenaires. Notre système financier est fortement interconnecté et il est aujourd’hui très difficile de faire cavalier seul. Les partenaires financiers - en particulier les banques et les investisseurs - se soucient de la conformité de leurs clients et de leurs partenaires et effectuent des due diligences poussées. Ceux qui contournent la réglementation, auront du mal à créer des partenariats de long terme avec ces acteurs, ou du moins dans des conditions qui leurs soient bénéfiques.
Je suis persuadé que certaines startups continueront de se développer à travers les failles inhérentes à toute réglementation, et réussiront. Et qui sait, peut-être qu'une ou deux d'entre elles deviendront les plus grandes fintechs de tous les temps. Mais pour la grande majorité d'entre elles, le refus d’obstacle et de conformité n’est pas une feuille de route soutenable. La meilleure approche consiste à comprendre les réglementations et à essayer de s'y conformer efficacement avec proportionnalité. C'est la meilleure façon d'attirer des partenaires, des clients et des investisseurs.
Pourquoi Defacto a cherché un agrément le plus tôt possible ?
Nous avons déposé un dossier d’agrément bancaire (société de financement) fin 2022, et sommes devenus ainsi la première fintech de prêt B2B agréée en France début 2024. Cela a pris plus d'un an - un énorme investissement en temps. Alors bien sûr, la question s'est posée : pourquoi faire cette demande d’agrément maintenant, ne faut il pas attendre d'avoir développé l’activité ?
Nous avons décidé de déposer une demande d’agrément très tôt dans l’histoire de Defacto. Nous voulions en effet connaître les contraintes dès la genèse de notre activité et les intégrer au fur et à mesure que nous développions le produit et l'entreprise. Les causes possibles de non-conformité et les facteurs de risques sont très nombreux dans le secteur du crédit que nous avons à coeur de les prendre au sérieux. Il n'était donc pas question de repousser la considération de certains à plus tard - nous souhaitions être conformes et soutenables dès le premier jour.
Dès le départ, l’agrément s'est révélé être un atout qui nous a permis de nous développer plus rapidement. Nous pouvons développer des produits et signer de nouveaux partenariats avec d'autres fintechs plus simplement. Nous pouvons aussi nouer plus facilement des partenariats avec des banques traditionnelles parce que nous parlons le même langage, que nous sommes assujettis aux mêmes exigences et aux mêmes contraintes. Les investisseurs connaissent les exigences et peuvent constater que nous les respectons. C'est très rassurant pour eux.
Mais l’avantage majeur est que nous pouvons nous concentrer sur les prochaines étapes. Nous ne voulions pas passer deux ans à bâtir une infrastructure et des processus pour devoir les rebâtir deux ans plus tard parce que nous avions négligé une contrainte ou une condition réglementaire essentielle.
Nous préférons développer dès maintenant une politique de risque qui s'avérera peut-être mordante dans quelques années seulement. Même si nous devons mettre à jour nos process, les entretenir, ils sont importants pour prévenir les risques dans le secteur financier et nous devons donc les considérer sérieusement.
Et maintenant que nous sommes agréés, le plus gros est derrière nous. Il reste du travail pour monter en compétences sur certains aspects mais le travail de mise en place est désormais restreint. Il y a un travail continu, pour s'assurer que nous ne revenons pas sur nos obligations et continuons de prévenir nos risques. Mais nous avons conçu nos processus et l'entreprise pour qu'ils restent conformes dans le temps, une grande partie de la maintenance et du contrôle est automatisée “by design”.
À propos de l'auteur
Charlotte Gounot est ingénieur, titulaire d'un master en mécanique de l'École polytechnique et d'un master en génie civil parasismique de l'Université de Californie à San Diego. Après avoir obtenu ses diplômes, elle a travaillé pendant huit ans au ministère de l’économie et des finances sur le secteur bancaire et notamment la réglementation visant à prévenir la prochaine crise bancaire et ses impacts, et à protéger le contribuable des faillites bancaires.
À l’Agence France Trésor, chargée des opérations de marché et de l’émission de la dette de l'État français, elle a émis plus de 600 milliards d'euros d'obligations à moyen et long terme, et notamment au début de la crise du Covid. Elle a ensuite été chargée du plan France Relance au sein du cabinet du ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire.
Charlotte a rejoint Defacto mi-2022 en tant que Directrice financière. Elle a mené les travaux de demande d’agrément pour que Defacto soit agréé en tant que société de financement et est en charge des finances et de la conformité.
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